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« Leur route pour avoir un enfant a été si longue, semée d’épines, traversée de torrents de larmes, et ils sont restés si soudés »

C’est lui qui a choisi l’appartement. Bien froid, bien impersonnel. Lorsqu’elle ouvre la porte avec la clé récupérée, comme convenu avec les propriétaires par l’intermédiaire de la messagerie du site de location, au coffee shop à la devanture rose et bleu en bas, typo ronde et pop, similaire à ceux de toutes les autres villes européennes des années 2020, rien ne la surprend. Le beige clean et le confort mat d’une ­clinique privée ou d’une banque. Une déco aux remugles de déni, son déni à lui, recouvrant de son voile oblitérant un certain nombre de facettes de leur démarche.
Elle monte les escaliers qui semblent flotter dans le vide et pose dans la chambre leurs deux valises ; une avec leurs affaires pour un mois et l’autre avec celles du bébé. Leur bébé, pas encore là, leur bébé, bientôt là. La chambre est glaciale. Exactement au sens où il le souhaitait, au sens neutre, ce sens qu’il avait théorisé lors de leurs nombreuses discussions houleuses à propos de leurs manières divergentes d’envisager le recours à la GPA.
Comme pour la relation avec la mère porteuse, lui voulait un appartement le moins habité possible, débarrassé de toutes traces humaines, d’autant plus qu’ils ne se sentent pas chez eux, un vestibule aseptisé, un simple lieu de passage pasteurisé, pour essayer de déshumaniser les choses au maximum. Pour lui, cet appartement et la femme qui porte leur bébé, même combat : il ne veut pas savoir, quelque chose là-dedans me met mal à l’aise, moins j’en sais, mieux je me porte.
Elle a du mal à accepter sa dureté à cet endroit. Elle ne parvient pas à compatir avec elle. Elle ne sait pas de quelle peur elle est le symptôme. Mais leur route pour avoir un enfant a été si longue, ardue, semée d’épines, hérissée de morceaux de verre, traversée de torrents de larmes, compliquée de trouées désenchantées, et ils sont restés si soudés, si ensemble jusqu’au bout qu’elle embrasse ça aussi, avec le reste. Et elle fait tous les efforts de déplacement possibles pour se mettre à sa place, accepter qu’il ne lui ait pas parlé une seule fois en neuf mois, qu’il veuille, sur place, la voir le moins possible.
Peut-être que, si elle était lui, si son sperme avait fécondé les ovules d’une inconnue, elle aussi, elle aurait tout fait pour ne pas humaniser la relation. Non, elle sait bien que non. Elle aurait fait tout pareil. Elle aurait doublement parlé, questionné, couvé, remercié, respecté la distance de sécurité si nécessaire, suivi toutes les étapes, débriefé les rendez-vous médicaux ; tout ce qu’elle a tenté de faire le plus justement durant ces neuf mois de relation longue distance, par téléphone, en anglais, avec leur anglais limité à elles deux.
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